Rencontre avec le Dr. Albert Njamen Njanke
- La supply chain intègre les trois piliers du développement durable que sont l’environnemental, l’économique et le social ».
- R.A : La supply Chain constitue l’un des chantiers les plus importants auxquels doit faire face le continent africain aujourd’hui et pourtant beaucoup de personnes continuent à la réduire à la logistique. Avant tout, qu’est-ce que la supply Chain ?
- DR. Albert Njamen Njanke :On a toujours confondu la logistique à la supply Chain et le transport à la logistique. Mais la logistique a commencé après la deuxième guerre mondiale avec le transport du matériel et des troupes. On est ensuite passé au stockage (le stockage s’est donc ajouté au transport). Par la suite, avec l’accroissement de la demande, on a introduit la planification de la production. Aujourd’hui, avec l’accroissement de la compétitivité entre l’entreprise, les nations et les continents, la supply Chain s’offre comme moyen privilégié pour permettre aux entreprises de faire du profit et de créer la valeur aux yeux des consommateurs. La supply Chain se positionne donc comme la collaboration entre les différentes parties prenantes, afin de faciliter la transformation des matières premières en produits finis dans le but de réduire les couts. Ceci doit se faire par l’intégration des différentes entités (la production, le procurement ou achat et la distribution). Elle a donc une fonction intégratrice puisqu’elle intègre toutes les activités. Elle intègre les trois piliers du développement durable que sont l’environnemental, l’économique et le social. Je peux donc dire en conclusion que la supply Chain va bien au-delà de la logistique. J’ai d’ailleurs pour habitude de résumer en disant que pour moi la supply Chain c’est la logistique optimisée. La supply chain va donc au-delà de la logistique et est une fonction intégratrice de toutes les activités de l’entreprise dans un processus.
- R.A : Alorsquel est l’importance dela Supply Chain pour le développement ducontinent africain ?
- Dr.Albert Njamen Njanke : Pour expliquer cela, je prendrai le LPI (Logistics
Performance
Index) de la Banque Mondiale. Il est calculé tous les deux ans et c’est un
paramètre qui permet de faire un benchmark du développement logistique entre
différents pays. Nous savons que l’analyse des différentes composantes de cet
index permet de comprendre les points faibles de la croissance d’un pays. Ses
composantes sont la douane, les infrastructures, la facilité des services, la
qualité des services et également le tracking. La banque mondiale se base sur
ces paramètres pour fixer les bases de financement et d’accompagnement des
pays. Une analyse des résultats LPI montre que les pays les mieux classés en
Afrique sont ceux qui ont développé leur logistique et de surcroît leur supply
Chain. Ce n’est point un hasard si l’Afrique du sud est en tête et, sur le plan
mondial, il est classé 29ème, suivi du Kenya qui est 2ème en Afrique et 63ème sur le plan mondial. Vu ce gap, nous pouvons
dire en conclusion que les pays africains doivent s’arrimer
- la philosophie Supply Chain pour accélérer le développement car la banque mondiale estime que la croissance du PIB par habitant pourrait gagner plus d’un point supplémentaire par an si le déficit budgétaire est comblé.
- R.A : On sait aussi quel’Afriquesemble être le futur champ de bataille de la supplyChain globale. A côté de la présence historique de nombreuses multinationales sur le continent, l’Afrique ne manque pas de success stories. Qu’il s’agisse par exemple du Maroc avec le TANGIMED, de Lomé qui est devenu la plateforme de transbordement d’un géant mondial ou encore Djibouti qui est une escale incontournable dans la corne de l’Afrique. Quels sont donc les facteurs clés du succès de ces belles réussites africaines ?
- Dr. Albert Njamen Njanke : Très bien, je pense que les facteurs clés du succès de cesports en Afrique sont liés à l’accroissement de la demande dans tous les secteurs car nous sommes des consommateurs. Alors, si nous considérons les cinq (5) processus de la supply Chain (plan, source, make, deliver et return et le modèle SCOR (Supply Chain Operational Reference), en nous concentrant sur le processus DELIVER (processus qui consiste à distribuer les produits et c’est là que l’Afrique se trouve dans la supply Chain globale), on réalise qu’on gagnerait beaucoup plus en assemblant certains de ses produits en Afrique au lieu de toujours les importer comme produits finis. Cela n’empêcherait pas que ces ports soient toujours autant actifs. L’Ethiopie a compris ce jeu et est devenu aujourd’hui un des hubs d’assemblage des entreprises chinoises en Afrique. Plusieurs entreprises chinoises assemblent leurs produits en Ethiopie et les exportent partout en Afrique et parfois avec le label Made in China. Je voudrais donc dire que si la plupart des entrepreneurs africains pouvaient suivre l’exemple de l’Ethiopie, l’Afrique devrait cesser d’être le champ de bataille de la supply Chain et entrer également dans la phase de manufacturer of the world ou de sub-assembler of the world.
- R.A : Il serait bon de savoir dans un contexte local et face à toutes ces difficultés deproduction, transformation auxquelles s’ajoutent des frais administratifs et des procédures douanières parfois opaques, quelles sont les réponses à apporter ?
- Dr. Albert Njamen Njanke :Je tiens d’abord à souligner qu’il y a eu beaucoupd’amélioration à ce sujet.
Les pays africains ont fait beaucoup d’efforts à ce niveau. A la dernière conférence que j’ai eue au sommet mondial du procurement, on parlait de la digitalisation de ces processus. Beaucoup de pays africains ont avancé pour améliorer leur LPI (qui est l’objectif principal derrière tous ces combats et ces efforts). Par exemple au Cameroun, les procédures douanières ont été améliorées et nous sommes passés au CAMSIS qui est une procédure plus facile, rapide, transparente et nous pouvons aussi parler de la digitalisation des procédures douanières dans l’ensemble des pays africains. Nous pouvons gagner encore plus en ne restant pas seulement à ce niveau mais en introduisant la block chain dans ce processus afin de le rendre automatique, à l’instar de l’Afrique du sud qui a introduit la block chain dans son processus douanier ; ce qui lui a permis d’avoir la première place dans le classement des LPI des pays africains. Pour cela il faut juste greffer le processus block chain dans les processus digitaux qui existe actuellement et cela nous permettra d’être plus transparents et plus crédibles devant les investisseurs et améliorer notre ranking. Cela voudra donc dire qu’un entrepreneur local pourra solliciter de passer en BOT (Bill Operation Transfer), avec un entrepreneur chinois pour faire une sub-assembly de son unité ici.
- R.A : Peut-on parler de supply Chain africaine malgré les nombreuses frictions aux frontières et notamment la non libre circulation des biens et des personnes ? Il est évident que ça fait référence à l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange continental africain
– Dr. Albert Njamen Njanke : Tout d’abord, les frictions n’empêchent pas le libre-échange des marchandises.
Je pense qu’à ce niveau c’est une opportunité pour les pays africains de s’engager à former leurs personnels dans le domaine de la supply Chain afin qu’ils comprennent les enjeux et l’importance que la supply Chain a dans le développement du pays. Si toutes les parties prenantes sont formées cela nous permettrait ici en Afrique de pouvoir collaborer entre pays afin de développer notre supply Chain et par conséquent notre économie. Je ne pense pas que les frictions au niveau des frontière puissent gêner quoi que ce soit, car il y’a toujours une coopération visible qui existe. Si nous passons également à l’automatisation des processus douaniers, que ce soit en frontières terrestres ou maritimes, alors ces frictions feront partie de l’histoire.
- R.A : Nous l’avons vu, les défis sont nombreux, qu’il s’agisse de supplyChain, delogistique ou même d’intégration africaine et Il est temps pour la supply Chain africaine d’engager ses révolutions. Quelles sont les stratégies à mettre en place si on veut bâtir une supply Chain africaine de classe mondiale avec des entreprises prêtes à affronter les prochains cataclysmes mondiaux ?
- Dr. Albert Njamen Njanke : Ceci est une très intéressante question car nousconstatons que l’Afrique a une opportunité de s’organiser pour se hisser sur le plan mondial. C’est vrai que nous sommes en train de traverser une perturbation caractérisée par cette COVID-19 et avec ça nous avons vu beaucoup d’entreprises schifter leurs productions. Par exemple celles qui étaient dans le cosmétique et la savonnerie se sont lancées dans la fabrication des gels hydro-alcooliques et celles qui étaient dans l’industrie de l’habillement se sont lancées dans la production des masques et des gants. Il est important de comprendre qu’en Afrique nous avons les capacités intellectuelles et toutes les ressources qu’il nous faut, mais il nous faut juste la confiance en soi pour pouvoir se lancer. Nous voyons également certains pays de l’Afrique de l’ouest dont les boulangeries sont tombées en rupture, de farine de blé importées qui se sont lancées dans la fabrication du pain avec la farine de manioc et la farine de patate. Je pense que ce sont des choses qu’on devrait déjà exploiter pour mettre en place un plan de développement de ce genre de structures. Tout ceci ne se fera pas du tic au tac ; il faudra d’abord faire un audit logistique des entreprises qui permettra de comprendre quelles sont les forces et faiblesses, les opportunités et menaces, et quelles sont les stratégies qu’il faut mettre en place. Ensuite, il faudra mettre sur pied un plan d’émergence qui va comprendre des stratégies tel qu’un plan d’urgence pour faire face aux situations de catastrophe dans le futur pour ne plus être surpris. Je ne finirai pas sans dire que la connaissance est une puissance et en la possédant, on a les outils nécessaires pour résoudre tous ces problèmes. D’où la nécessité pour nous en Afrique de mettre l’accent sur la formation en transport et logistique, en supply Chain, en market research, car sans la connaissance suffisante dans ces domaines, aucun pays ne saurait prospérer facilement. En outre nous avons maintenant les bonnes pratiques que nous pouvons appliquer en Afrique afin de s’engager dans la voie de la prospérité.